Soundspace : Espaces, expériences et politiques du sonore fut, du 4 au 8 juillet 2011, une école thématique CNRS à Roscoff dans le Finistère. Des chercheurs de nombreuses disciplines et domaines d'étude –géographie sociale, architecture, urbanisme, sociologie, anthropologie, acoustique, arts du spectacle...–, quelques artistes et acteurs culturels, des gens tous très impliqués voire passionnés par leur sujet. Des présentations de recherches, des exercices pratiques et des discussions informelles qui ont alimenté et prolongé les réflexions. Ce billet n'en est pas un compte-rendu, mais plutôt un autre de ses prolongements subjectifs.
Roscoff, 5 juillet, vers 8h20.
Ressac sur la jetée derrière l'hôtel Ibis.
Drone oscillant et grave d'un moteur de chalutier lointain.
« Soundspace » n'est pas « soundscape » (Claire Guiu). Plusieurs discussions ont révélé la nécessité de cesser de parler de « paysage sonore » (soundscape), notion jugée ambiguë voire simplement inopérante. Forgée par le compositeur Raymond Murray Schafer et s'étant largement répandue dans la sphère artistique, elle a récemment infiltré le vocabulaire de la recherche en architecture, urbanisme, géographie... sans que sa définition ne se précise de façon satisfaisante. N'y a-t-il pas à la base un paradoxe à associer son et paysage ? La notion commune de paysage hérite de la représentation picturale et plus généralement visuelle, dans laquelle cadrage et distanciation sont les conditions de l'analyse. Or non seulement on ne peut pas cadrer les sons (l'écoute naturelle et a fortiori le microphone, s'ils concentrent et hiérarchisent, ne créent pas de zone de non-son), mais il est difficile de s'en distancier et on ne peut jamais s'en extraire (le son possède un aspect tactile et enveloppant). On n'écoute pas un paysage, on baigne dans un environnement sonore. En outre, le concept de paysage suggère la position maîtresse de l'Homme souhaitant dompter et façonner la Nature à son image, un concept aujourd'hui dépassé. La musicalisation, le design sonore, conduisent souvent à l'uniformisation, à la perte de diversité des espaces sonores. Comme en cinéma (Daniel Deshays), l'épure et le principe de précaution pourraient davantage être des voies à suivre.
Roscoff, 6 juillet, 7h59.
Pour écouter la ville se réveiller depuis l'estacade (même si le vent ne nous en laisse peu percevoir).
Pour le plaisir de poser un son là.
La visite du Centre de Découverte du Son de Cavan (Côtes d'Armor) a montré la réussite de l'intégration en milieu rural semi-naturel d'un projet pédagogique et touristique voué à une certaine idée de l'écologie sonore. À côté du Jardin sonifère, œuvre très inventive bien que pour le moins paysagiste, le Sentier musical offre (et c'est vraiment un cadeau !) une immersion dans une nature magnifique, en l'occurrence un vallon forestier garni de granite et de végétaux de toutes sortes, au fond duquel court une petite rivière. L'aspect didactique de cet éveil à l'écoute est savamment dosé et sait s'effacer jusqu'à totalement pour laisser libre cours à la contemplation, à la rêverie et à l'interprétation, par chacun, des installations sonnantes et des espaces sonores. Ouvert depuis bientôt 15 ans, le Centre de Découverte du Son est un work-in-progress qui s'adapte au gré des usages des visiteurs mêmes (Guy-Noël Ollivier, Jérôme Hamelin).
Cavan, après-midi du 7 juillet. Deux exercices de variation de points d'écoute :
Performance musicale sur des sortes de cymbalums (trois performeurs, trois enregistrements synchrones mixés alternativement).
Conversation à propos de la teurgoule (dessert breton normand !) en utilisant un téléphone souterrain.
A contrario, le champ du sonore se trouve de plus en plus investi par des opérations de patrimonialisation et de muséification, phénomènes dans l'air du temps qui tendent à figer les choses dans une représentation univoque (Delphine Chambolle). La patrimonialisation sert des fins politiques identitaires, car le patrimoine est une notion institutionnelle, découle d'une décision politique (Abdelmajid Arrif) et s'oppose à la culture vivante. Là encore, la nature même du son pose des problèmes de sens. Le son, se jouant éternellement au présent, peut-il être conservé ? Prenons l'exemple de la cloche d'église –les inventaires campanaires sont déjà répandus. Ce qui fait patrimoine, ce qu'il faudrait archiver et conserver, est-ce la cloche (l'objet) ou le son de la cloche ? Ce dernier circonscrit-il un territoire (celui de la paroisse) ou relie-t-il plusieurs espaces entre eux ? Dans quel(s) espace(s) le « son de cloche patrimonial » résonne-t-il donc ?
Roscoff, 6 juillet, 8h30 (?).
Place de l'église Notre-Dame de Croaz-Batz.
Dans la ville immobile, le passage d'un scooter semble réveiller l'espace.
La notion de territoire, chère à nos politiques, implique l'existence de frontières ou de limites, concepts de nouveau peu applicables au domaine sonore. Dans l'espace sonore partagé, l'espace public par exemple, l'émission de son relève de la privatisation d'une partie de l'espace. Là commence la gêne, se définit la nuisance, relativement, subjectivement. Pour les gens qui participent à la conception des espaces, l'enjeu serait de passer de la ville bruyante (et isolante) à la ville sonnante (Olivier Balaÿ). Et pour ceux qui participent à la production des émissions sonores –chacun de nous est un faiseur de bruit (Henry Torgue)–, a fortiori les diffuseurs, designers sonores, artistes... quel enjeu se pose à eux ?
Étienne Noiseau.
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