Début 2011, un concours d'art sonore et radiophonique fut lancé. Il s'agissait de prendre comme sujet un lieu d'Europe de son choix et de réaliser une pièce sonore de 5 minutes. 10 artistes et compositeurs allaient être choisis et réunis à Karlsruhe en octobre pour construire ensemble un “panorama sonore de l'Europe”. Le jury, coopté par Deutschlandradio Kultur, Radio Belgrad, le Goethe-Institut Belgrad, le Groupe Ars Acustica de l'Union Européenne de Radiodiffusion et l'Institut für Musik und Akustik am Zentrum für Kunst und Medientechnologie Karlsruhe (ZKM), a reçu 186 contributions provenant de 25 pays, d'artistes âgés entre 20 et 60 ans.
Du 17 au 22 octobre 2011, l'atelier collectif de Karlsruhe fut une aventure humaine et artistique extraordinaire. Curieusement, aucune blessure d'ego ne fut à déplorer. Alors même que nous étions des personnalités très différentes, aux parcours variés (certains débutants, d'autres très expérimentés), nous avons misé –sans le décider– sur l'entente cordiale. L'écoute réciproque (a fortiori lorsqu'il fallu jouer et improviser ensemble) fut bel et bien au cœur de l'aventure que je relate, jour après jour, dans la suite de ce billet.
Suite à cela, trois émissions de radio ont été produites par la Deutschlandradio Kultur. Deux ne sont malheureusement pas en ligne : celle diffusant notre concert improvisé ainsi que le documentaire (de 3h!) qui a retracé le projet depuis ses origines. Ici, vous pourrez donc écouter, tout en lisant la suite de ce billet, l'émission qui a donné à entendre l'ensemble des pièces originales dans l'ordre de diffusion que nous avions souhaité.
Europa – Ein Klangpanorama (54'12)
Géographie du groupe d'après les lieux sur lesquels les artistes ont travaillé. Debout de gauche à droite : Barcelona (Stefan Malešević), Köln (Tamer Fahri), Firenze (Francesco Giomi), le point de départ du projet (Thomas Köner), Rivesaltes (Etienne Noiseau), Den Haag (Pablo Sanz Almoguera), Noepoli (La Cosa Preziosa). Assis : Albufeira (Katrinem), Killybegs (Softday : Mikael Fernström & Sean Taylor), Seydisfjördur (Konrad Korabiewski), Praha (Ladislav Železný).
- Ci-après, un retour en arrière avec le carnet de bord du projet :
Une nouvelle carte d'Europe, circulaire
(18 octobre 2011)
Nous sommes quelque part à l'intérieur du “cube bleu” du ZKM à Karlsruhe. Dans un large studio couleur bois, des tables forment un cercle. À chacune de ces tables est assise une personne qui regarde vers le centre du cercle (en fait, elle regarde surtout l'écran de son petit ordinateur gris). Ma place est située plein Ouest. À ma gauche, en allant vers le Nord donc, il y a Sean et Mikael, duo irlandais, puis Konrad tout au Nord (Polono-Danois, il vit en Islande), puis les Allemands Katrin et Tamer côte à côte au Nord-Est, en face de moi le Tchèque Ladislav au Levant, le Serbe Stefan au Sud-Est, puis côte à côte plein Sud les Italiens Susanna et Francesco, et enfin l'Espagnol Pablo au Sud-Ouest.
Au centre, Sebastian, le Tonmeister, et son équipe, vérifient les branchements audio qui nous relient tous à sa table de mixage et au système de diffusion. Nous patientons, en écrivant quelques e-mails. (Ou en bloguant.)
Nous avons été réunis pour former ensemble un panorama sonore de l'Europe. Cela commence aujourd'hui, en vue d'un concert samedi soir dans le cadre du festival AudioCulture. Tout ce que je sais c'est que je suis ici grâce à la pièce Tramuntana, mais je n'ai aucune idée de ce que nous allons faire.
Qu'est-ce qu'un panorama sonore ?
(20 octobre 2011)
La suite de la première journée du workshop A sound panorama of Europe fut bien sûr celle des grandes discussions. Nous sommes 10, chacun.e avec une composition de 5 minutes représentant un lieu d'Europe et, avec ce matériau, nous devons former une pièce de 50 minutes (le fameux panorama). L'artiste Thomas Köner, initiateur de ce projet, anime la réflexion.
Le calcul est simple : 5 x 10 = 50, mais tant de possibilités ont été passées en revue. La facilité aurait été de coller toutes les pièces les unes à la suite des autres et c'est pourtant ce que nous avons décidé ! Toute la deuxième journée du workshop a donc été occupée à cela : chacun.e son tour passant à la console pour programmer la spatialisation de sa pièce sur le Klangdom, le système de diffusion multiphonique du Cube. Quant au choix de l'ordre d'apparition des pièces ainsi que de la présence ou non de silence entre elles, il a été remis à plus tard.
Cette décision a été celle du respect des œuvres originales, peut-être la solution la plus proche de l'idée d'un panorama, mais un panorama dans la durée, pas dans l'espace. Car un panorama, cela devrait être aussi la possibilité de percevoir un lieu puis un autre, et d'y revenir, dans la continuité d'un espace commun. Avec la première solution, les lieux/pièces ne dialoguent pas, ils se succèdent. C'est pourquoi il a été décidé de créer une autre pièce, en plus du collage de 50 minutes. Un tutti a été tenté. Puissant, impressionnant, quelque part prometteur. Nous essaierons donc quelque chose entre les deux extrêmes : une pièce basée sur quelques matériaux issus des œuvres originales, et davantage construite à partir d'improvisation. L'artiste et producteur radiophonique Götz Naleppa, également à l'origine du projet et fraîchement débarqué hier soir, a vigoureusement insisté sur la nécessité de casser les barrières et de jouer collectif.
Wait and... hear. (In Meyersound.)
L'union par le son, ce soir à Karlsruhe
(22 octobre 2011)
Depuis le billet précédent, quatre peut-être cinq live sessions ont eu lieu sur des durées différentes. Entre un maximum à 50 minutes et un minimum à 15, l'improvisation devant le public de ce soir tournera autour de 25 minutes. Sur cette durée, et dans le même ordre d'apparition que la pièce pré-produite, chacun.e d'entre nous jouera en solo pendant deux minutes trente environ, mais jamais seul. Les autres s'y immisceront, répondront au soliste, joueront avec lui/elle.
Les répétitions ont été prometteuses. Les sons extraits des pièces originales fusionnent, se répondent, résonnent d'une nouvelle façon grâce à de nouveaux sons (parfois enregistrés ici-même dans les rues de Karlsruhe). Des cloches de différents coins d'Europe se donnent la réplique ; bruits industriels et sons naturels dialoguent ; des langues se mélangent.
Chacun.e de nous a appris à connaître l'autre et à lui donner de l'espace, que ce soit en termes d'espace dans la salle justement (depuis notre place sur le cercle, nous diffusons selon des transversales), ou en termes de durée et de fréquences (ne pas se masquer les uns les autres). Ce fut une belle rencontre culturelle et artistique très harmonieuse, dont le point d'orgue sera ce soir à 20h au ZKM avant des prolongements radiophoniques sur Deutschlandradio Kultur.
Let's plug &... play!
Étienne Noiseau.
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